A la table des cantines solidaires, alternatives à la distribution alimentaire

12H30 sur l'esplanade de La Défense (Hauts-de-Seine). Au pied d'un gratte-ciel, Miguel et Richard empruntent un passage dérobé qui les mène à "La Salle à Manger", le premier restaurant solidaire du quartier d'affaires, qui cuisine en outre à partir d'excédents alimentaires.

Du contrebas de l'escalier leur parvient une douce odeur d'épices. A l'intérieur, une jolie table ronde en bois, au milieu de la salle, attend les deux hommes sans-abri.

"On vient tous les jours", confie Miguel, qui va déguster le poulet curry au menu ce midi-là. "Les repas à un euro, comme ça, on n'en a pas l'habitude".

Tous deux connaissent bien la Maison de l'Amitié, association à l'initiative de ce projet. Grâce à elle, ils peuvent bénéficier de ce repas à prix symbolique.

Ouvert depuis quelques semaines, le restaurant propose chaque midi un menu différent, "90% cuisiné à partir d'invendus", précise Stéphanie Taltasse, directrice d'exploitation de l'établissement. Décoration soignée, musique portoricaine : rien n'est laissé au hasard pour que les clients "se sentent chez eux", ajoute-t-elle.

François, cadre financier dans un cabinet de conseil, déjeune seul à sa table. Il devra pour sa part débourser huit euros pour une formule plat/dessert. Cet endroit est pour lui un lieu "exceptionnel au niveau humain", et "la cuisine est bonne et bon marché".

Ici, on encourage la "mixité sociale" : étudiants, SDF ou salariés profitent d'un moment "ensoleillé", dit Rachida, l'une des 80 bénévoles de l'équipe, dont des personnes en voie d'insertion.

"Anti-gaspi" 

Au même moment, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le Rest'Auber finit son service. La cantinière distribue les dernières assiettes chaudes.

"Aujourd'hui nous avons rôti de veau ou poisson et haricots verts", propose-t-elle aux retardataires. Dans le réfectoire du club séniors qui accueille ce restaurant solidaire, une vingtaine de convives terminent leur compote de pommes.

Dans la grande salle, des personnes âgées conversent. D'autres ont déjà déposé leur plateau sur les chariots métalliques pour faire place nette. L'atelier pelote de laine et tricot va commencer, des effluves de café embaument la pièce.

"On vient une fois par semaine manger ici après notre cours de yoga", témoigne Marie Del Giudice, jeune retraitée. Son amie Nadia Ouldkaci voit un autre avantage : "Ca nous évite de faire la popote, et c'est très bon". Le menu est proposé à trois euros cinquante.

Né en 2018, le Rest'Auber soutenu par le Centre communal d'Action sociale (CCAS) d'Aubervilliers est ouvert à tous sans condition de ressources. Les repas sont confectionnés à partir d'excédents alimentaires de cuisines de collectivités ou d'entreprises.

"Ce n'est pas les restes pour les pauvres", insiste Anne Tison, cofondatrice d'Excellents Excédents, entreprise chargée d'approvisionner le Rest'Auber. "Nous avons voulu développer un lieu de mixité sociale", ajoute Jeanne Tenneroni, chargée de mission à la Direction du développement et de l'action sociale de la commune.

L'objectif initial était d'accueillir une cinquantaine de personnes par jour. "On n'a jamais pu atteindre ce chiffre", regrette Jeanne Tenneroni, incriminant les confinements et à la méconnaissance de ce qu'est un restaurant solidaire. "Les gens n'osent pas venir ici, la mairie ne fait pas assez de publicité", estime quant à elle Nadia Ouldkaci plaidant pour que "les plats soient plus copieux".

Ces cantines solidaires récupèrent des surplus issus "de la restauration d'entreprise ou de la grande distribution", précise Hugo Fragnoli lors de sa collecte. A 27 ans, il est coordinateur des opérations de l'association Le Chaînon Manquant, créée en 2014.

Deux fois par semaine, il livre La Salle à Manger en "fruits et légumes frais, notamment". Un seul stop dans un Monoprix du XVIIe arrondissement, ce lundi, suffit à récolter 130 kg de nourriture.

Lier lutte anti-gaspillage et aide alimentaire est aussi le créneau d'Excellents Excédents. Kerwan Born, responsable des opérations, se charge de la collecte de denrées alimentaires non consommées.

Rencontré à la cantine centrale de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), cet ancien restaurateur vient récupérer deux palettes de feuilletés aux légumes et de poireaux vinaigrette. "Tout cela est destiné à finir à la poubelle alors qu'il y a plein de gens qui ont faim".

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