Saluer en langue des signes au restaurant d'entreprise, ou comment faire une place aux travailleurs handicapés

Raouf Labidi et Kais Laouti trônent, souriants, sur des affiches à l'entrée du restaurant d'entreprise. Ces deux employés, l'un malentendant, l'autre sourd-muet, y disent bonjour en langue des signes: un accueil rare en entreprise où les personnes handicapées sont souvent peu présentes ou invisibles.

"Lorsqu'ils travaillaient en salle, des convives se plaignaient: il ne me répond pas!", rapporte Olga Boulay, la directrice du restaurant inter-entreprises Bercy Lumière où viennent se restaurer les salariés des banques BNP Paribas et ING, de l'enseigne de prêt-à-porter Zara ou encore du ministère de l'Intérieur.

"Depuis qu'on a mis l'affiche, les clients disent bonjour à Raouf et Kais en langue des signes, certains enchaînent +bonjour, s'il vous plait!+", dit-elle, ravie.

Avoir 6% de travailleurs handicapés dans leur effectif est une obligation pour les entreprises comptant au moins 20 salariés, mais moins d'un tiers d'entre elles s'y conforment: les autres abondent le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Dans l'hébergement et la restauration, selon les statistiques de la Dares, le taux d'emploi des personnes en situation de handicap était de 3,4% en 2021, contre 3,5% tous secteurs confondus. Mais certaines entreprises comme Arpège, filiale haut de gamme du groupe de restauration collective Elior (lequel atteint 6,8%), font plus d'efforts que d'autres et ne le regrettent pas.

Sourire lumineux, Marvin Haquin, 28 ans, embauche à 07H00 mais arrive dès 06H30. Ce matin, il dresse des entrées: frisée, mozzarella, tomates confites, olives. "Ca fait neuf ans que je suis ici, j'apprends pas mal de choses, l'ambiance est pas mal, ce que j'aime le plus c'est la pâtisserie", dit le jeune autiste à l'AFP. "En salle, j'aide les clients handicapés, je ramène leurs plateaux".

La responsable des préparations froides Régine Kah acquiesce: "Marvin aime toucher à tout, il écoute très bien".

Toque noire sur le front et manches retroussées, Alexandre Bisson, lui aussi atteint d'un trouble du spectre de l'autisme, remplit de crème pâtissière des tartelettes qu'il garnit de fruits rouges et d'amandes effilées, guidé par la cheffe adjointe Myriam Konforti. "C'est grand ici, il y a plusieurs postes, c'est varié, et si quelqu'un a besoin d'aide, on vient l'aider", dit-il.

- "Moments de stress et petites blagues" -

Alexandre "avait du mal avec la dextérité: on a beaucoup travaillé le pochage et maintenant il le fait sans problème. Il a une motivation énorme", affirme en souriant Mme Boulay. "C'est peut-être un peu plus long, il faut répéter, mettre en sécurité la personne... mais le résultat, on sait qu'on l'aura", dit-elle.

Le matin, le jeune homme "enchaîne des tâches précises qu'il connaît par coeur, puis on lui confie par exemple la rosace sur le brownie", explique la cheffe adjointe Myriam Konforti.

"Parfois, ça nous ralentit un peu", admet-elle. "Dans la restauration on a des moments de stress où on peut être un peu sanguins. Là il faut être patient: s'il se trompe je fais une petite blague... on en rigole après".

Les personnes autistes et certaines personnes ayant un handicap cognitif ou mental sont "très à l'aise avec nos métiers où il y a de la répétition: en cuisine, on peut trouver des tâches dans lesquelles elles seront très performantes", rapporte Fyntha Parant, responsable diversité et égalité des chances chez Elior France.

L'entreprise a créé en 2016 un pôle dédié au maintien dans l'emploi des collaborateurs touchés par la maladie ou le handicap, qui aménage les postes, accompagne les équipes...

En dix ans, 60 personnes handicapées ont bénéficié du programme Passerelle d'Elior, mis en place en partenariat avec l'Académie de Paris, le centre de formation des apprentis (CFA) et l'École de Paris des Métiers de la Table, et aussi expérimenté à Nîmes depuis septembre.

Parmi ces 60 bénéficiaires: Alexandre, qui a enchaîné avec un CAP cuisine en alternance chez Arpège.

"Un poste d'apprenti pâtissier se libérait en septembre: j'ai eu plusieurs candidatures mais je n'ai même pas regardé les CV. Après une année passée avec lui, il était évident que ce serait Alexandre", dit Mme Boulay dans un sourire rayonnant. "L'école devra s'adapter à son rythme mais je suis sûre qu'il y arrivera haut la main".

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