Au départ, elle voulait être pilote de chasse. Lorsqu'un conseiller d'orientation lui a assuré que c'était impossible pour une femme, elle s'est tournée sans enthousiasme vers la cuisine, le métier de son père, avec quatre ans d'apprentissage à Deauville, en Normandie (nord-ouest de la France).
"La passion est venue quand je suis arrivée à Paris, que j'ai vu ce que c'était qu'un restaurant étoilé, le travail en brigade et dans un palace", raconte-t-elle à l'AFP.
L'ascension est irrésistible : le Crillon, puis le Grand Véfour et le Bristol et en 2012, à 33 ans, elle devient cheffe au Saint-James, où elle conquiert deux ans plus tard sa première étoile au Michelin, avant de devenir en 2015 la deuxième femme à décrocher le titre prestigieux de meilleur ouvrier de France.
Le Negresco la courtise mais la Normande hésite. Trop d'a priori sur le Sud. Après une escapade de deux ans à Genève, elle vient voir : "J'ai poussé la porte de l'hôtel et je suis tombée sous le charme de l'âme de la maison".
"Un hôtel de femmes"
Sous sa coupole rose, le Negresco a fêté l'an dernier ses 110 ans face à la Méditerranée. Rapidement prisé de la jet-set, il est entré dans une autre dimension sous l'égide de Jeanne Augier, arrivée à la direction en 1957 et décédée en 2019, qui lui a donné un cachet unique et une improbable collection de 6.000 oeuvres et pièces de mobilier du XVIIe siècle à nos jours.
De plus, "c'est un hôtel de femmes. Madame souhaitait que des femmes dirigent chacun de ses services. Et aujourd'hui, on a la parité dans le comité de direction", raconte la cheffe, qui règne sur le Chantecler, le restaurant gastronomique, mais supervise aussi la brasserie, le restaurant de plage, les services aux bars, les réceptions...
Étoilé au Michelin en 1979, le Chantecler oscille depuis entre un et deux macarons. Il y en avait deux quand Virginie Basselot est arrivée en 2018, mais elle en a perdu une en 2020.
"Je suis arrivée seule, avec beaucoup de choses à gérer", explique-t-elle, désormais concentrée sur le Chantecler et la quête de cette étoile envolée. Même si la fournée 2024 du guide Michelin n'a récompensé que six cheffes sur les 62 adresses primées, et aucune dans le haut du classement.
Pourtant, être une femme en cuisine a été "une force" pour Virginie Basselot : "Comme on est moins nombreuses, on est toujours un peu plus regardées et c'est ça qui m'a poussée à aller plus loin dans l'excellence".
Moto
Dans sa cuisine, une dizaine de tabliers blancs s'affairent, en gestes rapides mais minutieux. Souriante, la cheffe annonce les commandes sans élever la voix, goûte chaque sauce et dresse les plats chauds.
"Ca a pris un petit temps pour comprendre ce que Madame avait voulu transmettre. Avec ses oeuvres d'art, il y a un mélange d'histoires. C'est ce que j'ai aussi essayé (...), transmettre la tradition française et notre patrimoine, mais en gardant la modernité", raconte-t-elle.
Si elle a gardé son plat signature -- un tartare de loup et huîtres de Normandie avec crème citron et caviar de Sologne --, dont les motifs perlés se retrouvent sur les menus, ou les couteaux, elle est devenue résolument méditerranéenne.
Ses amuse-bouche subliment trois spécialités niçoises -- le pan bagnat, la pissaladière et la socca --, ses noix de Saint-Jacques sont infusées au mimosa ou au pamplemousse, son boeuf relevé aux anchois, olives et artichauts. Et l'huile d'olive se décline en dessert.
Cette créativité lui a valu en mars le Gault et Millau d'or pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. En 2022, elle a reçu la Légion d'honneur des mains de Virginie Guyot... une femme pilote de chasse.
A défaut d'avion, la cheffe s'est mise à la moto. Sur sa Daytona Triumph, elle va régulièrement découvrir l'arrière-pays ou s'enivrer de vitesse sur le circuit du Castellet, dans le département du Var voisin. Et là aussi, elle se sent un peu pionnière : "On parle de la cuisine mais quand je vais au circuit, je suis la seule femme".
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