A Paris, tout l'hiver, la mairie transforme ses cantines en restaurants solidaires

Potage de légumes, pâtes aux carottes d'hiver, poulet et fromage blanc. Les brasseries n'ont qu'à bien se tenir, Abdoulaye Warr, sans-abri, dîne ce soir à Paris dans une cantine solidaire "cinq étoiles" où, pour lui, tous les jours c'est gratuit.

"La nuit, si t'as froid et t'as faim, ça fait mal. Quand le ventre est rempli, c'est pas pareil", explique ce Sénégalais de 35 ans. Les assiettes sont vidées en quelques minutes.

Dans la rue, où il dormira plus tard, le mercure reste obstinément au-dessous de zéro.

Comme lui, ils sont plus de 200 à fréquenter, depuis décembre et parfois quotidiennement, cette nouvelle adresse du 14e arrondissement de la capitale, rue Victor Schoelcher, qui n'était avant qu'un simple restaurant administratif de la Ville de Paris, servant le midi.

L'Hôtel de Ville héberge depuis 2020 un établissement identique. Chaque hiver, la cantine du personnel y accueille celles et ceux qui souhaitent manger bien, et chaud, mais qui ne peuvent se le permettre.

"Pour eux, c'est plus qu'un repas, c'est un moment de répit", commente sur place, Léa Filoche, l'adjointe à la maire de Paris en charge, notamment, des solidarités.

Beaucoup sont à la rue, d'autres en grande difficulté financière, des mineurs isolés aux personnes âgées, pour la plupart des hommes.

Les files d'attente se forment bien avant l'heure d'ouverture, puis "c'est plein dans la minute", se félicite Mme Filoche. Le bouche-à-oreille a porté ses fruits.

"Ça m'évite de faire des conneries", confie Abdoulaye. Pour "survivre", il dit n'avoir souvent pas d'autre choix que celui du vol à l'étalage.

Rue Victor Schoelcher, les repas seront distribués chaque soir, gratuitement et jusqu'au 31 mars, par une vingtaine de bénévoles et salariés d'Emmaüs Solidarité.

En amont, c'est l'association Refugee Food qui pense les recettes et les prépare dans ses cuisines parisiennes. Les menus changent d'un jour à l'autre et privilégient les produits frais et de saison.

"Première pierre"

"Il s'agit aussi de leur faire découvrir des produits qu'ils ne connaissent pas", explique Harouna Sow, chef des cuisines de Refugee Food, sans pour autant trop s'éloigner des goûts et habitudes des bénéficiaires.

"L'hiver dernier, j'allais aux Restos du coeur mais je faisais la queue dans le froid", se souvient Ousmane Diop, 20 ans.

Vieilles connaissances, et compatriotes, lui et Abdoulaye se sont retrouvés par hasard dans cette cantine il y a quelques jours. Ce soir, ils y sont attablés sur une confortable banquette.

"Un peu plus de soupe ?", leur lance une bénévole, louche à la main. Le jeune homme sourit: "ici, on est servis comme dans un resto cinq étoiles !", se réjouit Ousmane, qui dit s'y sentir comme un être "normal".

La nuit à Paris, il jongle d'ordinaire entre un pont, les bus noctiliens, le canapé d'un providentiel samaritain et les centres d'hébergement du Samu Social où, regrette-t-il "c'est pas tous les jours qu'il y a de la place".

Selon les associations de solidarité, le numéro d'urgence, le 115, est saturé.

L'ONG Médecins du Monde (MDM) s'est alarmée mardi d'une "dégradation nette" de la situation des personnes à la rue, faisant état d'au moins deux sans-abri décédés dans la capitale début janvier.

"L'aide alimentaire, c'est la première pierre dans un parcours de sortie de rue", veut croire Léa Filoche, qui indique qu'en 2023, l'équivalent de près de 28.000 repas ont été distribués à Paris, contre 11.000 avant la pandémie en 2019.

"Ce serait exemplaire que de grandes entreprises mettent leurs cantines à disposition de cette façon", suggère Emmanuel Grégoire, premier adjoint (PS) à la maire de Paris, venu visiter les lieux.

Il est bientôt 19h30 rue Victor Schoelcher, l'heure de la fin du service et du départ de ses hôtes du soir. Ousmane enfile sa casquette, Abdoulaye s'équipe de ses deux doudounes. Le ventre plein, ils se disent "à demain".

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