Transmise par le gouvernement aux partenaires sociaux le 21 février, cette mise à jour, prévue chaque année selon la loi immigration de janvier 2024, devait être publiée fin février avant d'être repoussée plusieurs fois.
Début avril, François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a même évoqué une échéance plus tardive: "avant l'été" ou "septembre".
Établie région par région, cette liste énumère les quelque 80 métiers en manque de main d'oeuvre, grâce auxquels les travailleurs étrangers peuvent prétendre à un titre de séjour en justifiant de douze mois de bulletins de salaire au cours de 24 derniers mois et trois ans de résidence en France.
Cette disposition, censée incarner le volet social de la loi portée par l'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, est applicable jusqu'à fin 2026.
Elle doit permettre à des patrons ayant des difficultés à recruter de garder leurs employés et d'écarter le risque d'une condamnation - l'emploi d'une personne en situation irrégulière est passible de 30.000 euros d'amende et cinq ans d'emprisonnement.
"C'est le début de la saison touristique, on a besoin de recruter maintenant. Ces retards créent de la frustration inutile des deux côtés, pour les employeurs et les travailleurs", s'impatiente Franck Trouet, délégué général du Groupement des hôtelleries et restaurations (GHR) interrogé par l'AFP.
"Chiffre d'affaire en moins"
Selon France Travail, le besoin de main d'oeuvre dans ce secteur en 2025 est estimé à 336.000 emplois (CDI et CDD de plus de six mois) avec des "difficultés" de recrutement pour la moitié d'entre eux.
Le cabinet de M. Retailleau indique à l'AFP que des "discussions" sont encore en cours pour "certains métiers" mais que le dossier sera "finalisé d'ici la fin" mai. Le ministre, chantre d'une baisse de l'immigration, a déjà souligné qu'il souhaitait que les employeurs recrutent des étrangers en situation régulière au chômage.
Interrogée sur franceinfo, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a confirmé vendredi que la liste qui "prend en compte les nouveaux métiers, notamment liés aux besoins démographiques, au vieillissement de la population, aux métiers du soin", serait prête pour "la fin du mois".
"Tout est prêt, mais on a cru comprendre qu'il y avait des tensions entre le ministère du Travail et de l'Intérieur", a rapporté une source syndicale.
"Bruno Retailleau, candidat à la présidence des Républicains, ne veut pas torpiller sa campagne" qui se tient jusqu'à ce week-end, avance une autre source pour expliquer les reports.
"Nous, on ne fait pas de politique, on est confronté au principe de réalité et ce qu'on voit c'est que faute de personnel, des restaurateurs refusent des clients. C'est du chiffre d'affaire en moins pour les établissements et l'Etat se prive de recettes fiscales", s'agace M. Trouet.
"Ubuesque"
Même impatience à l'Umih, première organisation patronale du secteur de l'hôtellerie-restauration: "Ça prend beaucoup trop de temps", déplore son président, Thierry Marx, pour qui "cette liste permettrait d'ouvrir des possibilités de recrutement différents".
"Il y a des gens dans l'Hexagone et à l'extérieur de l'Hexagone qu'on peut ramener vers nos métiers et qu'il faut former le plus rapidement possible", exhorte le chef d'entreprise.
Selon un rapport publié cette semaine par Terra Nova, think tank marqué à gauche, entre 250.000 et 310.000 travailleurs immigrés doivent être accueillis chaque année jusqu'en 2040-2050 pour maintenir le ratio actif-inactif et garantir la "soutenabilité" du "modèle social" français.
Plusieurs associations de défense des droits des migrants rapportent en outre être confrontées à "de plus en plus de situations de non renouvellement de titres de séjour" ou à des délais d'obtention qui s'allongent. Avec parfois, pour un demandeur, la mauvaise surprise de se voir notifier, outre un refus, une obligation de quitter le territoire.
"Ce sont les employeurs qui maintenant viennent nous voir car ils ne comprennent pas que leur salarié, dont ils sont satisfaits et qu'ils déclarent, se retrouvent en situation irrégulière", relate sous anonymat un bénévole associatif marseillais.
"Certains sont contraints de licencier, alors qu'ils ont toutes les peines du monde à recruter. C'est ubuesque", grince-t-il.