"Dodin Bouffant": le chef Pierre Gagnaire, des fourneaux aux plateaux

"Le plus important, c'était que ce soit crédible et que ce soit mangeable": multi-étoilé au Michelin, intervenant dans "Top Chef", le chef Pierre Gagnaire fait une incursion au cinéma comme conseiller culinaire de "La passion de Dodin-Bouffant", en compétition à Cannes.

Présenté mercredi sur la Croisette, le film suit le duo formé à la fin du XIXe siècle par le gastronome Dodin (Benoît Magimel) et la cuisinière Eugénie (Juliette Binoche), unis par une complicité personnelle et culinaire.

Cinquante ans après "La grande bouffe", le long-métrage de Tran Anh Hung ("L'odeur de la papaye verte") fait la part belle à des festins gargantuesques, dont la préparation occupe une large place à l'image. Pour rendre l'ensemble crédible, le réalisateur, qui adapte un roman suisse paru en 1920, a donc sollicité une des plus célèbres toques françaises.

"Tran est venu manger à mon restaurant il y a cinq ou six ans, un jour où il y avait un pot-au-feu à la carte (plat qui donne son nom au titre anglais du film, NDLR). Il a bien aimé son repas et il m'a dit: +Vous savez Pierre, je prépare un film, j'adapte le livre +Dodin-Bouffant+. Est-ce que ça vous intéresserait de m'accompagner sur cette histoire ?+", raconte à l'AFP Pierre Gagnaire.

Un moment passe, sans nouvelles, jusqu'à un premier rendez-vous de travail: "J'ai dit: on ne va jamais y arriver, parce que la demande est énorme. C'était beaucoup plus compliqué que ce que j'imaginais", se remémore-t-il.

Cette profusion apparaît à l'écran, où les mets défilent pendant 2H30, entre viandes, poissons, omelettes ou sauces, dont la longue préparation est filmée comme un ballet.

- Pas de gâchis -

"Il y a eu pour moi une chose qui a été fondamentale et qui a fait que je suis entré dans le film: on a eu trois matinées où j'ai cuisiné en toute liberté. Là, Tran a tout filmé pour avoir plein d'images. Ça a scellé mon amitié pour lui et la structure de ce qu'on pouvait produire", décrit le chef.

"Il m'a écouté. Je lui disais: ce n'est pas cohérent, ça ne va pas. Surtout qu'Eugénie est une cuisinière libre, c'est une femme qui cuisine avec ses sensations. J'ai donc essayé de proposer quelque chose d'authentique, de sincère, de moderne. Car il y a quelque chose de très moderne dans la cuisine du film avec ces légumes, le rapport à la nature...", ajoute-t-il.

Sur le plateau, un de ses collaborateurs était présent tous les jours pour préparer les mets et lui est venu plus ponctuellement.

Le résultat: un nombre ahurissant de plats, dont 80 omelettes, des carrés de veau, plusieurs turbots... Mais pas de gâchis !

"L'équipe du film en a bien profité. Il ne restait pas une miette !", plaisante Pierre Gagnaire.

Les deux acteurs ont également joué le jeu, avec notamment une demi-journée d'entraînement pour paraître le plus crédible à l'écran même si, confie-t-il, "les deux cuisinent, surtout Benoît".

Le chef, qui cite "Ratatouille" et "Le festin de Babette" parmi ses films préférés sur la gastronomie, fait une apparition à l'écran: "Ça fera un joli souvenir pour mes petits-enfants", s'amuse-t-il.

Quant à l'émission "Top Chef", qui a révélé des chefs comme Mory Sacko, Stéphanie Le Quellec ou Jean Imbert (tout juste nommé chef du Martinez), il l'imagine inspirée par le film pour sa prochaine saison: "Ils demanderont peut-être aux candidats de réinterpréter un pot-au feu !".

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