"C'est un miracle. Je ne pouvais pas espérer ça": un demi-siècle après la naissance de la maison Loiseau, et surtout 22 ans après la mort de son mari, sa veuve Dominique ne peut que s'émerveiller du chemin parcouru.
1975: le jeune cuisinier, alors âgé de 24 ans, reprend la gérance d'une auberge mythique à Saulieu (Côte d'Or), gros bourg à l'orée des épaisses forêts du Morvan et "ville-étape" sur la fameuse "Nationale 6", route des vacances reliant Paris aux Alpes.
Ce restaurant, "La Côte d'Or", vivote après le départ de son chef de légende, Alexandre Dumaine, appelé "le roi des cuisiniers et le cuisinier des rois". Il avait cumulé trois étoiles au Guide Michelin de 1935 à 1964, accueillant Piaf, Dali, Chaplin et même Pétain...
"Cette petite auberge de campagne sur la route des vacances devient le rêve de gosse" de Bernard Loiseau, raconte à l'AFP sa fille aînée, Bérangère. "Et il se dit: je vais réveiller la belle endormie".
D'abord gérant dès 1975 puis propriétaire dès 1982, Loiseau fait revenir les clients, alléchés par sa cuisine épurée et légère qui privilégie l'authenticité des produits locaux, bien avant la mode des "circuits courts".
L'auberge devient un Relais et Châteaux et décroche une étoile Michelin en 1977, une deuxième en 1981 puis une troisième en 1991.
Pionnier en cuisine, Loiseau l'est aussi en affaire: il développe des produits dérivés, fait des émissions télés et devient le premier chef triplement étoilé à entrer en Bourse, le 23 décembre 1998.
"On me donnait six mois"
Mais, le 24 février 2003, il retourne son fusil de chasse contre lui. Une mort due à "une dépression", expliqua sa veuve afin de couper court aux rumeurs selon lesquelles la star des fourneaux n'aurait pas supporté la soi-disant perte à venir de sa troisième étoile, qui n'arrivera en fait pas de si tôt.
A 52 ans, il laisse trois jeunes enfants, dont la benjamine Blanche n'a que six ans.
Sa veuve, Dominique, 50 ans alors, décide de relever le gant. "On me donnait six mois", se souvient-elle auprès de l'AFP, évoquant les Cassandre qui pariaient sur la fin de l'aventure Loiseau.
Dans un esprit de corps familial, la mère est vite aidée de ses enfants, appelés les "3B".
L'aînée Bérangère, 36 ans aujourd'hui, prend la vice-présidente du groupe, puis devient PDG en 2023. Bastien, 34 ans, est administrateur, et Blanche, 29 ans, en charge du "déploiement" du groupe.
Dans le sillage du vaisseau-amiral de Saulieu, se multiplient les ouvertures de restaurants: à Beaune (Côte d'Or) en 2007, Dijon en 2013, Besançon en 2023 puis Tokyo l'an dernier, un clin d'oeil en forme d'hommage au père fondateur qui avait également ouvert une table au Japon, à Kobé, en 1992. Metz suivra au printemps prochain.
Parallèlement, le chef martiniquais Louis-Philippe Vigilant, à la tête du restaurant historique La Côte d'Or depuis 2023, ambitionne de récupérer la troisième étoile, perdue en 2016. "Je suis le gardien de la tradition", dit-il.
Le relais et châteaux qui abrite le restaurant, aujourd'hui cinq étoiles, a été additionné d'un spa et l'hôtel concurrent situé juste en face racheté pour y installer notamment un bistrot plus abordable.
La PDG Bérangère Loiseau ne craint pas l'indigestion: "on poursuit sereinement l'ADN Loiseau, qui voulait toujours aller de l'avant", assure-t-elle. "Il n'y a pas de boulimie. On ne fait que continuer."
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